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Pour mieux comprendre la recherche en autisme, des spécialistes nous aident à la décrypter.

Le 30 octobre 2023

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Laurent Mottron, MD,Psychiatre, Ph.D, MACSS / FCAHS, INSAR fellow
Chaire de recherche M.&R. Gosselin en Neurosciences Cognitives de l’Autisme
Chercheur au centre de recherche du CIUSSS-NIM
Professeur Titulaire, département de psychiatrie et d’addictologie, Université de Montréal

La FQA a été récemment interpellée par ses membres sur la méthode Noda, notamment en raison de ses coûts. En complément d’un article publié dans L’EXPRESS 2023 dont la vocation était d’expliciter cette méthode, nous avons souhaité obtenir un avis complémentaire de la part du Dr Laurent Mottron. Le voici…

Que penser de la « méthode » NODA ?

L’idée de pouvoir porter un diagnostic à partir d’échantillons vidéos fournis par les familles, ou en observant directement certains comportements de l’enfant à distance, est rationnelle et pourrait permettre d’éviter des déplacements, particulièrement pour des régions éloignées. Pendant la pandémie, nous avons eu l’occasion de faire plusieurs évaluations de ce type quand il n’y avait pas d’autres moyens d’accélérer le diagnostic. Nous avons donc une idée assez concrète de la faisabilité autant que des problèmes posés par l’évaluation à distance. Plusieurs points doivent être soulignés qui modèrent la confiance que nous pourrions avoir dans cette technique :

1- Il est plus compliqué qu’il y paraît de pouvoir expliquer à une famille les comportements à filmer qui sont pertinents pour le diagnostic. La capacité des familles à les deviner varie grandement selon leur niveau d’information ou leur habileté propre. Pour filmer quelque chose de pertinent, encore faut-il le voir et savoir ce que l’on cherche.

2- Filmer un enfant en temps réel autant que visionner les vidéos peut prendre beaucoup plus de temps qu’une évaluation conduite par quelqu’un qui sait ce qu’il cherche. Les 10 heures demandées semblent excessives : un clinicien aguerri prendra beaucoup moins de temps que cela et peut fournir un diagnostic en trois heures avec une excellente certitude clinique, ADOS inclus.

3- La qualité de l’évaluation, qu’elle soit faite à distance ou non, dépend considérablement de l’expertise du clinicien qui la pratique. L’expertise, c’est avant tout le nombre d’enfants auquel on a été exposé, combiné aux connaissances théoriques sur la condition recherchée. Il n’y a donc aucun prestige particulier à la méthode proposée tant que l’on ignore la compétence des gens qui la pratiquent.

4- L’ADIr, qui est faite en accompagnement de l’analyse des vidéos dans cette méthode n’est plus guère pratiquée dans les cliniques spécialisées en dehors des situations où l’on n’a pas d’information développementale. Elle est à peu près inutile à l’âge préscolaire puisqu’on peut directement voir ce qu’on demanderait aux parents via cet instrument en observant l’enfant. La plus-value des outils standardisés pour les situations prototypiques est de plus en plus discutée au niveau scientifique. Pour les cas non prototypiques, ils tendent à inclure des « faux positifs » lorsque l’enfant a une autre condition, et à produire de « faux négatifs » pour les personnes autistes âgées, verbales et intelligentes.

5- Le prix demandé est celui d’une évaluation dans d’autres secteurs privés, mais n’inclut pas le diagnostic différentiel. Si c’est autre chose que de l’autisme, il faut payer beaucoup, beaucoup plus.

6- Nous ignorons si un tel diagnostic permet l’accès aux services ou si ces derniers demanderont d’officialiser le diagnostic ainsi obtenu par un clinicien reconnu. (Note de la FQA : Malgré nos recherches et demandes d’information, nous ne sommes pas en mesure d’apporter une réponse définitive. Il est donc préférable de se renseigner avant de commencer les démarches.)

7- La littérature scientifique dans des revues à comité de pair est ténue et clairement surévaluée sur le site de la « méthode Noda » bien qu’ils aient reçu des fonds du NIH, dont ils font grand cas sur leur site.

8- Enfin, comme scientifique, tout ce qui se présente comme un « package » ou une « méthode » suscite ma méfiance. L’autisme n’a déjà que trop pâti des « méthodes ».

Le 23 mai 2023

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Laurent Mottron, MD,Psychiatre, Ph.D, MACSS / FCAHS, INSAR fellow
Chaire de recherche M.&R. Gosselin en Neurosciences Cognitives de l’Autisme
Chercheur au centre de recherche du CIUSSS-NIM
Professeur Titulaire, département de psychiatrie et d’addictologie, Université de Montréal

L’affaire « Matson » remonte à presque 10 ans. Lorsqu’un chercheur soumet un article à la publication dans une revue scientifique, celui-ci doit être révisé par d’autres chercheurs, qui produisent une critique de l’article. À la lumière de ces critiques et de son propre jugement, l’éditeur en chef du journal décide si l’article justifie d’être publié dans le journal qu’il dirige. Une chercheure autiste, Michelle Dawson, travaillant à l’université de Montréal dans mon groupe, et une professeure réputée de la prestigieuse université anglaise Oxford, Dorothy Bishop qu’elle avait alertée, ont détecté des irrégularités dans les publications d’un chercheur, Matson. Celui-ci travaillait dans le domaine de l’ABA et des troubles du comportement. Matson faisait état de très nombreuses publications scientifiques (plus de 900). Un examen attentif d’un grand nombre d’entre elles montrait toutefois qu’elles avaient été acceptées le jour même où elles avaient été soumises, et que cela survenait essentiellement dans des journaux dont le chercheur était éditeur en chef. De plus, il promouvait ses outils d’évaluation sans déclarer de conflit d’intérêts. Cette affaire a fait grand bruit (lire note). Le chercheur a dû rétracter un grand nombre de ces articles qui ne sont plus accessibles dans les journaux dans lesquels ils ont été publiés.

La morale de cette histoire ne doit surtout pas être que la science n’est pas quelque chose de sérieux. Au contraire, elle montre que les pratiques scientifiques sont surveillées par les chercheurs eux-mêmes, et que les autistes peuvent jouer un rôle majeur dans cette surveillance. Toutefois, avant que Michelle Dawson ne découvre cette irrégularité, des articles qui n’avaient pas été évalués par les pairs ont influencé les pratiques cliniques, ce qui est très grave.

Note: Par exemple, une pleine page dans un grand journal britannique, the Guardian : https://www.theguardian.com/science/head-quarters/2015/mar/12/games-we-play-troubling-dark-side-academic-publishing-matson-sigafoos-lancioni.

Le 23 mars 2023

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Voici les commentaires du Dr Laurent Mottron sur un article publié sur le site Spectrum U.S. autism prevalence continues to rise as race and sex gaps shrink, new stats show
*La prévalence de l’autisme aux États-Unis continue d’augmenter alors que les écarts entre les races et les sexes se réduisent, selon de nouvelles statistiques*

Le chiffre du CDC américain repris dans cet article pose problème tout comme l’interprétation qui en est faite : l’augmentation viendrait de ce qu’on ne ‘’manque’’ plus les diagnostics d’autisme issus des communautés défavorisées afro-américaines et hispanophones. Pour comparer avec la réalité québécoise, ce chiffre est deux fois plus important. Si on prenait leur explication pour argent comptant, cela signifierait que nous manquons un autiste sur deux au Québec (comme en France ou en Angleterre qui ont des chiffres comparables au nôtre). Cela est difficile à imaginer, les États-Unis ayant un système de santé qui, le mot est faible, ne favorise pas les personnes démunies. Ce chiffre est aussi 4 fois plus important que celui de la Chine qui est un pays dont le système de santé est avancé.

On peut comparer les calculs de prévalence de l’autisme (au niveau logique, s’entend!) à la pêche au filet. Imaginons qu’on veuille attraper tous les exemplaires d’une certaine espèce d’un poisson de taille assez variable, mais plutôt volumineux. Dans l’océan, plus le poisson est petit, plus il y a d’espèces différentes – il y a moins de sortes de poissons de la taille du thon que de la sardine! Si on prend donc un filet à grosses mailles, on attrapera les plus gros, mais on en manquera quelques-uns. Si, pour ne pas les manquer, on prend un filet à mailles plus petites, on manquera moins d’exemplaires de l’espèce voulue, mais on attrapera aussi beaucoup plus d’autres espèces, et en très grand nombre. Aux États-Unis, ils ont choisi d’utiliser un filet à petites mailles. Ils attrapent donc tous les poissons qu’on veut attraper, mais ils sont mélangés avec, disons, pas mal de sardines…

Le 22 février 2023

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À la suite d’articles parus dans la presse grand public et annonçant des avancées majeures pour l’autisme, la FQA a été plusieurs fois interpellée. Pour faire le point sur ces articles qui nous paraissaient au mieux approximatifs, nous avons sollicité le Dr Laurent Mottron. Voici sa réponse.

Que ce soit pour enfler un résultat ou pour obtenir de meilleures cotes d’écoute, on ne peut que stigmatiser comment des chercheurs ou des medias déforment la réalité qu’ils rapportent. Deux annonces de découverte sur l’autisme présentées comme importantes dans les médias, en particulier TVA, mais aussi par »UDM Nouvelles», comportent plusieurs erreurs ou maladresses de présentation qui les rendent incompréhensibles pour le grand public, et qui en exagèrent l’importance. Nous voulons y apporter quelques rectifications:

1- https://nouvelles.umontreal.ca/…/un-pas-de-geant-est…/

  • Le X fragile n’est pas l’autisme. Il est 100 fois moins fréquent et n’a pas les mêmes caractéristiques. Il fait partie de la dizaine de mutations qui prédisposent à des manifestations qui ressemblent à l’autisme, mais n’est absolument pas impliqué dans l’autisme de manière générale.
  • 1 personne X fragile sur 3 environ ressemble à l’autisme, les autres ont d’autres manifestations.
  • Le X fragile n’est pas »la première cause génétique de l’autisme». Dans sa grande majorité (plus de 90 %), l’autisme est une condition familiale, c’est-à-dire que certaines familles sont davantage prédisposées à avoir des enfants autistes que d’autres, mais on ne connaît pas les gènes qui y prédisposent.
  • Les souris sur lesquelles cette découverte a été faite ne sont pas des »souris autistes», car cette expression n’a pas de sens. Il est extrêmement peu probable qu’il existe un équivalent de l’autisme chez l’animal. Ce sont des souris génétiquement modifiées, qui sont porteuses de l’X fragile. Les découvertes faites sur ces souris ne sont pas immédiatement applicables, ni à l’homme, ni, à plus forte raison, chez l’homme autiste, mais elles aident à comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires de l’X fragile.

 

2- https://www.tvanouvelles.ca/…/des-scientifiques…

  • Le problème est le même que dans la nouvelle ci-dessus, mais il s’agit ici d’un autre modèle animal, les souris MYT1L. Cette nouvelle ne permet aucunement d’anticiper un traitement pharmacologique de l’autisme.